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Travailler a LLG : le chef de cantine

Dernière mise à jour : 2 avr.

En voyant le titre de cette chronique, vous avez peut-être pensé à prof ou à pion mais avez-vous pensé à menuisier, électricien, chef de cantine ? Sûrement pas, et c’est pourquoi cette chronique existe désormais. Dans chaque numéro, on vous fera découvrir un de ceux que vous ne connaissez pas. Pour ce premier numéro, nous avons interviewé Stéphane Thiriat, le chef de la cantine.

Est-ce que vous pourriez vous présenter un peu ? 

J’ai fait un apprentissage classique chez un étoilé Michelin à Metz. J’ai travaillé dans un restaurant « traditionnel ». Après, j’ai fait un peu de brasserie en Angleterre et en Suisse. Après mon service militaire, j’ai rejoint de nouveau un restaurant de brasserie classique puis j’ai eu l’opportunité de travailler dans une clinique. J’ai continué ensuite dans un grand groupe, toujours en tant que cuisinier. J’ai alors pu passer des concours et j’ai rejoint le ministère de la défense où j’ai travaillé en tant que personnel civil de la défense. Ensuite, je me suis retrouvé dans une école de sous-officiers. Et enfin, ma femme a été mutée à Paris et j’ai suivi. J’ai travaillé dans le seizième arrondissement avant de venir ici.


C’est quoi un personnel civil de la défense ? 


Vous êtes cuisinier pour l’armée. Au lieu que ce soit un militaire qui fasse à manger pour des militaires, c’est un civil qui les remplace. 

Comment définissez-vous les menus ? 

Les menus ont été établis avec une diététicienne. On a une base de 4 plans alimentaires de 8 menus sur 2 services (midi et soir) qu’on fait tourner. On change juste 2-3 bricoles par rapport à la saison. […] Principalement, on travaille avec des fournisseurs en bio et en circuit court. On a un gros budget bio ici. Au-delà des 40%, ça c’est sûr ! Tout ce qui est pâtes, on a changé un peu mais avant on était à 100% bio, mais maintenant on est en bio  et HVE (Haute Valeur Environnementale) à cause des tarifs qui se sont envolés pendant un petit temps. 

Le seul repas qui est 100% bio tout le temps est le petit déjeuner. Tout ce qui y est servi est bio de a à z. Seul le sucre ne l’est pas. Le petit déjeuner coûte aussi cher que le plat du midi. 

Qu’est ce que vous faites des denrées qui ne sont pas mangées comme les yaourts inmangés ? 

Ce qu’il faut savoir, c’est qu’à la fin du service, c’est un peu vide parce qu’on ne sort pas tout pour pas que ça soit trop “à l’air” parce que normalement, il y a toujours la fameuse marge des “20 minutes” comme au mcdo. Une fois que c’est sorti, tu n’es pas censé rentrer mais nous, on a la chance d’avoir le service du soir et donc, on les met de côté et le soir, en priorité, ils seront ressortis. Mais sinon, tout ce qui est sorti ne revient pas à cause de la chaîne du froid, on ne peut pas le reprendre.

Y-a-t-il beaucoup de gaspillage au lycée ? 

Non, on est un des lycées de France en gâchis alimentaire qui est le plus bas. Quand on faisait les poubelles, on regardait et c’était ridicule par rapport à la masse qu’on fait. Je crois qu’on n’était à même pas 450g/jour/élève. Mais après, tout ce qu’on jette en déchets alimentaires est donné à une société qui fait du gaz et de l’engrais donc tous les mois, on a un retour de combien on a retraité. […] Sinon, on retraite pour resservir le soir car on a une chaîne spéciale pour refroidir. 

Depuis combien de temps proposez-vous une option végétarienne ? 

Ici, je crois qu’on l’a toujours fait, depuis le début. Moins que ces derniers temps, mais on l’a toujours fait. […] L’alternative n’est pas par repas. Ce n’est pas que c’est compliqué mais c’est que ça coûte très cher. Il faut savoir que le végétarien coûte plus cher que la viande ou le poisson.

Comment faites-vous pour choisir le nombre de repas végétarien ? 

Alors, c’est totalement aléatoire. Par exemple, ce midi, on a fait 1230 couverts et en gros on a préparé pour 1150 personnes. Il y avait du poulet et du végé. On est donc partis avec 720 poulets, il ne faut pas demander pourquoi 720… et le reste en végétarien. Mais donc, il y en a eu beaucoup qui n’ont pas été content parce qu’ils n’ont pas eu de poulet mais le souci est là, c’est qu’on ne peut pas prévoir à 100% et il faut se donner une marge de manœuvre par rapport au coût.  Mais c’est vrai qu’on ne sait pas du tout et que c’est complètement aléatoire. 

L’année dernière, les repas végétariens partaient beaucoup plus vite que cette année. Cette année, quand on met du rosbeef, il n’y en a jamais assez alors que ce n'était jamais arrivé avant. Avant, tout le monde voulait du végétarien et cette année c’est l’inverse, tout le monde veut du bœuf. On ne sait pas pourquoi ! Et on a donc repris en stock. 

Comme il n’y a pas de réservations, on travaille à l’aveugle…

Est ce que c’est vous qui faites le pain ?

Non, le pain vient d’un boulanger. On a continué à travailler avec ce boulanger parce qu’on s’est rendu compte l’an dernier que les élèves l’appréciaient. 

L’année dernière, il y avait un pâtissier au lycée ? 

Oui 


Est ce qu’il y avait ducoup des pâtisseries faites maisons ? 


Non, on n’en faisait très très peu. On en a fait 3 ou 4 fois. Le problème des pâtisseries c’est qu’elles sont chronophages, pour faire 700 pâtisseries (un demi service), il faut 3 jours.  

Mais on en a fait que quelques fois. Il faut savoir que lorsque je suis arrivé il y a 7 ans, il y avait un pâtissier, qui n’était pas celui-ci mais on faisait des pâtisseries tous les jours et c’était fait maison. On faisait des cakes, des brioches… Mais bon, maintenant avec les nouveaux plans alimentaires et la diététicienne, ça ne passera pas du tout. 

Quels sont vos horaires ? 

Moi, le matin, je suis là vers 5h30 et j’arrête vers 14h30 et sinon, les autres collègues sont répartis en deux équipes : ils font soit du 6h - 15h, soit du 6h30 - 15h30. Et il y en a qui arrivent à 12h et qui finissent à 20h15-20h30, en fonction de leur rôle : cuisinier ou aide de cuisine. [...] En plus, nous on a le souci du samedi, on travaille le samedi ici. Le personnel qui travaille le samedi ne travaille pas un jour dans la semaine. 

Comment vous répartissez les missions ? 

C’est un roulement qui est fait. Il y a 3 cuisiniers donc 3 équipes. Après, il y a 3 aides de cuisine par cuisinier. Et ça tourne. Chacun n’a pas le même poste mais tout le monde tourne obligatoirement comme ça, tout le monde fait un peu tout et personne n’est jamais toujours cantonné à la même tâche. C’est plus agréable pour tout le monde, je pense.  

C’est quoi la commission de restauration ? 

Ça sert à expliquer notre travail aux élèves mais généralement, il n’y  a pas beaucoup d’élèves : un ou deux seulement. Mais, c’est là qu’on donne les chiffres parce que c’est impressionnant ce qu’on fait ici. C’est sur que le budget du lycée pour la nourriture tout le monde le connaît, il est sur internet. Vous regardez la page du lycée, il est dessus. Mais c’est pas ça qui est intéressant, c’est de savoir qu’est ce qu’on achète, à qui on l’achète et puis comment on travaille. 


Les gens ne le savent pas mais quand on travaille directement avec des gens qu’on connaît, ce n'est pas pareil. Même les œufs viennent de deux gros groupes qui sont en Bretagne et j’ai visité l’élevage et donc c’est pas mal, c’est rigolo. Et c’est pas pareil quand vous avez vu la personne, les poules, c’est drôle c’est un peu comme à la télé. Elles sont vraiment dans un champ. C’est intéressant. 


Quand est ce que se déroule la commission ? 


Normalement, c’est au mois de mars, une fois par an. 

Est ce que c'est vous qui avez le plus de responsabilité dans la cantine ?

Oui, du point de vue responsabilité, c’est pas mal. Par contre, du point de vue salaire, non, je vous rassure puisque comme on est dans la fonction publique, le salaire va aussi avec l’ancienneté et moi, j’ai pas beaucoup d’ancienneté… Après, je ne vais pas me plaindre. Mais c’est vrai que certaines personnes peuvent gagner plus que moi parce qu'ils ont plus d’ancienneté.  Moi, je suis rentré tardivement dans la fonction publique. 

C’est quoi les fourchettes de salaire ? 

C’est les grilles indiciaires normales. Ça va en net, de 1400 à 2000. Il y a 40€ d’écart entre le chef et les autres. 

L’avantage des chefs de cuisine et des seconds, c’est qu’on est logé sur place, c’est une obligation. Dès qu’il y a un internat, on est obligé d’être là. Pour justement pallier tout ce qui peut arriver comme les grèves… la neige ici, il n’y a pas trop !

Y a-t-il souvent des problèmes ?

Tous les jours, à Paris en plus, c’est un peu compliqué. C’est rare qu’on ait 100% de notre commande qui arrive. Il y a souvent des soucis, des palettes entières qui sont perdues, on ne sait pas où elles sont donc avec ça, on est obligé de pallier. Mais après, j’ai l’habitude, ça fait maintenant 7-8 ans que je suis ici. Disons qu’il faut savoir avoir une réactivité par rapport à ce qui se passe. Ça ne sert à rien de s’énerver pour rien. 


Là, en ce moment, on a eu beaucoup de souci avec les agriculteurs parce qu’ils bloquent tout ce qui est abattoir et grossistes… Donc, nous, on a eu plein d'approvisionnements qui n’ont pas été faits. C’est pour ça que les menus en ce moment ne sont pas trop suivis… 


Mais dans ce cas, vous faites quoi ? 


Eh bah, on échange. Le plat du vendredi, on le passe au mardi si on a la marchandise parce qu’on n’a pas non plus la capacité de stockage. Donc on a un petit peu de stock surgelés avec du végétarien ou des omelettes surgelés qu’on est obligé d’avoir au cas où justement à cause de ça surtout en ce moment parce que les agriculteurs sont toujours en manifestations. 


On a donc toujours une petite marge de manœuvre quoi qu’il arrive. Quand on a repris, il y a eu des raviolis. C’est le pire stock. Quand on passe des raviolis, c’est qu’on n’a vraiment plus rien. Au mois de janvier, on en a fait 2 fois parce qu’il nous a manqué 2 fois beaucoup de fournitures, on ne pouvait vraiment rien faire. Normalement on a un stock tampon qui est valable 3 ans. C’est les aléas. 

Comment pouvez-vous décrire votre relation aux élèves ? 

Malheureusement, ici on n’a pas de contact, enfin peu. On arrive à en cibler quelques-uns mais pas beaucoup parce que vous avez vu le service à midi, on n’a pas le temps de parler. Même le soir, on a un tout petit plus de temps mais comme il n’y a qu’une chaîne d’ouverte, c’est un peu limite.

Ici, la structure est trop grande pour qu’on puisse avoir des relations, discuter simplement c’est pas évident. Après bon, on cible toujours quelques personnes pour avoir un retour, parce que c’est important de savoir si tout le monde mange bien. C’est important pour nous, il ne faut pas croire. 

Quelle est la chose dont vous seriez le plus fier ici ?

Je n’ai rien fait d'extraordinaire, changer les cuisines et servir ce qu’on sert pour moi c’est ça qui est bon. Ce que vous mangez ici, je peux vous dire que dans les restaurants, il y en a qui ne mange pas ça.

Le fonctionnement de la cantine :

Avant l’élève qui voulait manger de la charcuterie, des féculents et une pâtisserie, il pouvait faire ça tous les jours donc on s’est mis d’accord avec la direction et une diététicienne. Et on a travaillé pendant plus d’un an presque pour mettre en œuvre les plans qu’on a aujourd’hui pour supprimer tout ça. Ça a été très compliqué, parce que des élèves qui avaient de la charcuterie, tout ce que tout le monde aime, la nourriture plaisir (la pâtisserie…), qu’on mange normalement de temps en temps, ponctuellement alors qu’on pouvait le faire tous les jours et ça on l’a arrêté du jour au lendemain. Donc c’était très compliqué. 


Comment a été réorganisé la cuisine et le service lors du passage d’un modèle à l’autre ?


C’est simple, on a entièrement changé la cuisine. Maintenant, on a donc du matériel qui a 4 ans. On arrive à obtenir un résultat avec l’organoleptique (le goût des aliments) qui est comme à la maison. C’est à dire que ce que vous mangez à 11h30 ou à 13h30, normalement quand on vous sers, ça a exactement le même aspect. Pour celui qui mange à 13h, le poisson aura le même aspect que pour celui qui a mangé à 11h30. Celui qui prend du poisson à 11h30 ou à 13h, il aura le même aspect. Il ne sera pas séché parce qu’on a du matériel derrière qui est fait pour. Tout ce qui est l’hydrométrie des fours, c’est entièrement réglé par des ordinateurs. Nous, on n’a qu'à mettre des sondes. 

L’avantage est là, on a une cuisine qui nous permet de vous servir comme si vous étiez invités chez quelqu’un. C’est comme à la maison. 

De plus, tout ce que vous mangez, peu importe qui le produit, il y aura le même résultat. Et ça c’est important. Parce que souvent, en fonction du cuisiner  tout n’est pas pareil alors que là si. Peu importe qui cuisine, il y aura toujours le même résultat. 

Mais il y a des choses par contre qu’on ne peut pas fabriquer comme ça. Les steaks, c’est vrai qu’on a du mal. On a aussi le souci avec les frites, il faut quelqu'un à 100% derrière. 

Il y a des choses qu’on peut faire et d’autres qu’on ne peut pas faire. Mais pour la plupart des choses, on essaye que vous soyez servis comme à la maison. 


Est ce que vous avez dû engager du personnel ? 


Non 


Est ce que ça a augmenté vos heures ? 


Augmentez nos heures, non mais le travail, oui. En gros, au lieu de finir à 9h30 avec une cuisine propre, aujourd’hui, on y est parfois encore à 11h et on n’a pas le temps de manger mais c’est un choix qu’on a fait aussi. 

Après, c’est ce qu’on préfère à servir des trucs tout fait comme de l’agroalimentaire. C’est pas notre métier. Nous on essaye de préparer au maximum les choses qu’on fabrique parce que réchauffé, c’est pas génial. 


Est ce que ça n'enlève pas un peu le plaisir du cuisiner ? 


Non, parce que là on parle de technique culinaire. En gros, c’est juste une question de température par rapport à la cuisson de la viande, par rapport aux légumes qui ne sont pas trop cuits. C’est juste que ça s’arrête avant pour éviter l’erreur. 


Ça ne gagne pas en efficacité mais ça gagne en qualité. C’est rare ici de manger des légumes trop cuits.


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